Le Monde
11 mai 2015
L’élection présidentielle, il y a seulement quelques mois, semblait devoir ressembler pour le président Bronislaw Komorowski à une formalité. On prédisait même une réélection dès le premier tour, tant sa cote de popularité était élevée. Il est le principal perdant du premier tour du scrutin présidentiel, dimanche 10 mai, en arrivant en deuxième position avec seulement 32 % des voix. Le candidat de Plate-forme civique (PO), le parti de centre droit au pouvoir, est devancé par le conservateur du parti populiste Droit et justice (PiS), Andrzej Duda, qui obtient 34,8 % des voix, selon les estimations. Les résultats officiels ne devraient pas être connus avant lundi soir.
Les résultats ont créé un effet de choc en Pologne. « C’est une bombe atomique », explique l’analyste politique Eryk Mistewicz. C’est le plus grand changement politique depuis huit ans, la première fois que PO, est en position de perdre des élections. On avait l’habitude d’une Plate-forme qui gagne avec l’ancien premier ministre Donald Tusk. »« Il y a une forme de démobilisation de l’électorat de PO depuis le départ de Donald Tusk », confirme Wawrzyniec Smoczynski, directeur du site Polityka Insight. M. Tusk est aujourd’hui président du Conseil européen.
« ANDRZEJ DUDA A FAIT CINQ MOIS DE CAMPAGNE EFFICACE, OÙ IL EST APPARU DYNAMIQUE ET ÉNERGIQUE, ALORS QUE KOMOROWSKI FAISAIT UNE CAMPAGNE DE GRAND-PÈRE DE LA NATION »
Un peu trop assuré de sa victoire et de la faiblesse de son opposant, le président Komorowski est entré tard dans une campagne où il mettait en avant son rôle clé dans la défense et la diplomatie, pour rassurer les Polonais, inquiets depuis l’annexion de la Crimée par la Russie. « Personne ne connaissait vraiment Andrzej Duda, explique Eryk Mistewicz. Il n’était pas très en vue quand il était député, mais il a fait cinq mois de campagne efficace, où il est apparu dynamique et énergique, alors que Komorowski faisait une campagne de grand-père de la nation. »
Cet ancien collaborateur du président Lech Kaczynski, mort dans l’accident aérien de Smolensk en Russie en avril 2010, s’oppose à l’adoption de l’euro et à la fécondation in vitro. Il est également favorable aux référendums. Il n’est pas sûr que Jaroslaw Kaczynski, le président du PiS et ancien premier ministre, ait anticipé une telle performance. Quand Andrzej Duda a été désigné à l’automne 2014, les commentateurs estimaient que le chef de la formation cherchait surtout à éviter un échec avant la campagne décisive pour les élections législatives prévues à l’automne.
Le scrutin de dimanche marque un affaiblissement considérable de Komorowki qui perd près de dix points par rapport au premier tour de 2010, sans que le PiS ne se renforce, puisque Jaroslaw Kaczynski avait alors obtenu près de 37 % des suffrages. « L’électorat du PiS s’est mobilisé, mais il n’a pas élargi sa base. Ce scrutin montre surtout l’émergence d’un vote de protestation contre le système des deux partis », estime Wawrzyniec Smoczynski.
La deuxième grande surprise du vote polonais vient du score important d’un candidat atypique, le chanteur de rock Pawel Kukiz, qui a séduit 20 % des électeurs et qui est en position d’arbitre du second tour. Le chanteur quinquagénaire a bien l’intention d’être présent aux prochaines législatives et devrait éviter de se prononcer pour l’un des deux candidats, afin de conserver son positionnement antisystème. « Je ne vais pas disposer des voix qui ne sont pas ma propriété », a-t-il déclaré dimanche, tout en précisant qu’il n’appellerait « certainement pas les gens à voter pour quelqu’un qui renforcerait l’omnipotence de Plate-forme civique ». La candidature de Pawel Kukiz a été particulièrement populaire chez les jeunes. « Il est le réel vainqueur de ce scrutin, souligne Piotr Buras, directeur du bureau de Varsovie du Conseil européen des relations internationales. Les électeurs ont rejeté l’opposition entre Plate-forme et le PiS. »
Pour Eryk Mistewicz, ce scrutin fait apparaître « la ligne qui divise la Pologne, entre ceux qui ont profité de l’argent de l’Europe et les autres. Sur les onze candidats du premier tour, Bronislaw Komorowski était le seul à expliquer que la Pologne avait progressé depuis 25 ans. Tous les autres ont fait campagne en mettant en avant le fait que ces progrès n’avaient pas été pour tous les Polonais et que les différences sociales restaient grandes. »
M. Komorowski a reconnu dimanche que les résultats pouvaient être lus « comme un avertissement pour ce qui est largement considéré comme la classe dirigeante ». Il doit mobiliser ses électeurs jeunes, tentés par la candidature de Pawel Kukiz et surtout les nombreux abstentionnistes, alors que le taux de participation est inférieur à 50 %.
Le vote de dimanche acte également la quasi-disparition de la gauche du paysage politique polonais. La candidate des sociaux-démocrates, Magdalena Ogorek, n’a réuni que 2,4 % des suffrages. « C’est la fin du post-communisme en Pologne », explique Eryk Mistewicz. La décision contestée du président de l’Alliance de la gauche démocratique – et ancien premier ministre –, Leszek Miller, de choisir cette journaliste, ancienne actrice, s’est avérée catastrophique.
Alain Salles